Sur l’air de la « Saint Martin »
I
Voyez vous les mines blêmes
Vate vo che mene blinmo
De ses Bressans lourds et lents ?,
De ché Brassai lor pi lai ?
On dirait que trois carêmes
On dere ke tra karinmo
Passent chez eux tous les ans.
Passon vé io tui leu zai
Mais gardez vous bien de croire
Mé gardôvo bin de crare
Qu’ils jeûnent plus qu’il ne faut :
Ki zeunon mé ki ne fô
La raison est qu’ils vont boire
La razon e ki von bare
A la cruche et non au pot.
A la crusse pi nô u po.
II
Voyez vous les rouges trognes
Vate vo le roze trogne
De ces mâconnais joufflus ?
De ché Macônio zoufflu ?
Ils se vantent d’être ivrognes
Y se vaiton d’étre ivrogno
Et le sont on ne peut plus.
Pi le son on ne pou mé
Ils font leur carême à table
Y fon yo karinm’ a trabla
Ainsi que les Quatre-Temps ;
Aissi ke lou katro té.
Ils s’arrondissent le râble
Y s’arondisson lo rablo
Et se moquent des Bressans.
Pi se mokon dé brassai
III
Tristes habitants des plaines,
Tristo zabitai dé plinne
Quittez vos marais fangeux :
Ketô vo marai fangeux :
Dans vos humides domaines,
Dai vo zumedo dominne
A quarante ans, l’homme est vieux.
A karaite ai, l’omo vio.
Mais sur nos heureuses terres
Mé su noutr’ zeureuze tare
Qui produisent le bon vin,
Ke produizon lo bon vin,
Deux fois vingt ans ce n’est guère
Dou ko vin té ye ne guéro
Que la moitié du chemin.
Ke la matia du semin.
IV
Vous qui nous plaignez de boire
Vo ke no plegny de bare
A la cruche et non au pot,
A la crusse pi no u po,
Chers voisins, n’allez vous croire
Cher vazin, n’allô vo crare
Que nous sommes en défaut.
Ke no sin biai ai défô.
Nous faisons du pot usage
No fazon du po uzazo
En buvant à petits coups,
Ai bevai a petie ko,
Et sur le sombre rivage
Pi su lo sombro rivazo
Nous n’allons pas avant vous.
No n’allin pô avai vo.
V
Passerai je sous silence
Passerai zo lo silaice
Les points de vue enchantés,
Leu points de vue aissaitô,
Car ici la providence
Car itie la providaisse
Nous traite en enfants gâtés.
No trét’ ai n’aifai gatô.
La fièvre est bien un mal grave
La fivra e biai on mô gravo
Qui vous visite souvent,
Ke vo vezete sovai,
Mais n’avez-vous pas la rave
Mé n’avô vo pô la rava
Pour vous rafraîchir les dents ?
Pe vo refressi le dé ?
VI
Mâconnais, quelle lubie !
Macounô, a ké lubie !
Vous nous traitez de fiévreux ;
Vo no traito de fiévro ;
Avec votre hydrophobie
Avoua voutr’ hydrophobie
Etes vous plus vigoureux ?
Ete vo ple vigoureux ?
Ignorez vous ce que pense
Ignorô vo ka ke paisse
Hyppocrate du tonneau ?
Hypprocrate du toniau ?
Les buveurs à grosses panses
Leu buvio a greussa paisse
S’en vont souvent en bâteau
S’ai vai sovai ai batiô.
VII
J’ai senti l’odeur épaisse
Za saiti l’odor épessa
De ces creux si bienfaisants,
Dai chô cro se biaifezai
Où les chanvres de la Bresse
Ion leu sanvrô de la Brasse
Vont se baigner tous les ans.
Vai se bagne tui leu z’an.
Et que cette noire fange
Epi ke chla nare fanze
A mon nez déplaisait tant,
A mon nô deplaze tai,
Faut il le trouver étrange ?
Fôt y le trovô étraizo ?
Mon nez n’était pas bressan.
Mon nô n’ére pô brassai.
VIII
De nos fertiles campagnes
De noutr’ fertile kaipagne
Vous achetez les chapons ;
Vo z’assetô leu sapon ;
Ce qu’on sème en vos montagnes
Ka k’on sinn’ ai voutr’montagne
Serre à truffer nos cochons ;
Char a trefô noutrou caillon ;
Et lorsqu’un vent glacé passe
Pi kai on vé glassô pache
Sur vos ceps reverdissant,
Su voutrou sep’ revardissai,
Vous accourez, tête basse,
Vo zaccorô, téta bassa,
Tendre la main aux Bressans.
Taidre la man eu Brassai.
IX
Mais dans son joyeux délire,
Mé dai son zoyeu délire,
Ma muse perd le bon sens.
Ma muza pér’ lo bon saiss’.
Pourquoi plaisanter et rire
Perka plazaitô pi rire
Quand il s’agit de Bressans ?
Kai y s’agi de Brassai ?
Car, même dans leur colère
Car, mémo dé yo colér’
Ils furent toujours humains ;
Y fure toro humain ;
Et jamais coup de pierre
Pi zamé on ko de piarra
Ne fut lancé de leurs mains.
N’a étô katô d’ yo man.
X
Chez nous la récolte est bonne,
Vé no la récoulta bena,
Grâce à Cérès, tous les ans ;
Grace a Cérès, tui leu zai ;
Et des biens que Dieu nous donne
Pi deu biai ke dieu no baille
Nous sommes reconnaissants.
No sin biai reconnaissai.
Si parfois la providence
Si parfa la providaisse
Daigne enrichir vos coteaux,
Degn’ airissi voutrou côtô,
Pour toute reconnaissance
Pe tota reconnaissaice
Vous adorez vos tonneaux.
Vo z’adorô voutrou ponsson.
XI
La Bresse quoi qu’on en dise,
La Brasse ka kon n’ai deze,
Est un merveilleux pays
E t’on marveilleu payilli
Et plus d’une marchandise
Pi mé de n’a marchaidiye
Nous en vient à juste prix ;
No z’ai vin a justo pri ;
Connaissez vous les citrouilles
Koniate vo le citroilles
Dont on fait de si bons flans,
Don t’on fa de si bon flans,
Et les cuisses de grenouilles
Pi le couasse de grenoyille
Qu’on préfère aux ortolans !
Kon prefare eu z’ortolan !
XII
Si la citrouille et la rave
Si la citroill’ pi la rava
Blessent vos tempéraments,
Blesso vo taiperamai,
Du moins l’escargot qui bave
De moin l’escargo ke bave
Renforce vos aliments.
Raifôrce vo zalimai
C’est pour sécher vos paupières
Ye péssoueuy’ voutre paupire
Que le verre est entre vos mains
Ke lo var t’aitr’ voutre man
Car on voit autant de pierres
Car on va atai de piare
En vos champs qu’en vos chemins.
Ai voutrou san kai voutrou s’min.
XIII
Et ces poulardes si fines
Pi se polardes se fene
Et ces chapons succulents ?
Pi seu sapon sukulai ?
S’ils viennent dans nos cuisines
S’y venion dai noutr’ kezene
La gloire en est aux Bressans. .
La gloire ai ne t’u Brassai.
Mais nous par reconnaissance
Mé no pe rekôgnessaice
Pour rendre leurs champs plus gras,
Pe raidre yo san ple grô,
Nous leur vendons cette essence
No leu vaidon ch’teu aissaice
Qu’à table on ne nomme pas.
K’a trôbl’ on ne nôme pô.
XIV
Des beaux chanvres de la Bresse
De biau sanvro de la Brasse
Mâconnais ne plaisantez ;
Macouna, ne plezaitô ;
Avec le chanvre on vous tresse
Avoua lo sanvr’ on vo trasse
Les biaudes que vous portez ;
Leu biaude ke vo portô ;
Vous n’auriez, sans nos compagnes,
Vo n’arô, sai noutr’ compagnes,
Comme Adam au paradis,
K’mai Adai u paradi,
Des pampres de vos montagnes,
Dé paipro de voutr’ montagnes,
Qu’une feuille pour habit.
Ke na folia pe habi.
XV
Dans ce jardin solitaire,
Dai cho zardin solitére,
Voyez vous pousser les poireaux,
Vat’ vo possô lou poro,
Et la douce pomme de terre
Ai pi la dossa katrofle
Nageant au milieu des eaux ?
Nazai u moitai de l’zédiye ?
Et rien n’est il plus pratique,
Ma fa rai ne mé pratiko,
Mes amis, que ces chardons
Mou zamis, ke seu sardon
Dont s’engraissent la bourrique
Dont s’aigrasse la boreka
Et ses petits les ânons ?
Pi seu petyie leu z’anons ?